Le refuge du Portillon d’Oô est l’un des plus hauts des Pyrénées, son positionnement au cœur d’un ensemble de crêtes au-dessus de 3000 mètres en fait un point de passage obligé pour randonneurs, grimpeurs et alpinistes qui parcourent les cimes du Luchonnais. Partir pour 3 jours est une gageure en soi car il faut pratiquement « consommer » une journée pour rejoindre le refuge et une autre pour redescendre dans la vallée…Trop court, beaucoup trop court pour l’exigeant luchonnais.
1er jour une histoire de Lacs.
Ce mercredi, à cinq après un crochet par la vallée heureuse, nous démarrons des granges d’Astau peu après 9h30 pour arpenter le large chemin qui mène jusqu’au bord du lac d’Oô, premier palier avec 350 mètres de dénivelé pour rejoindre l’auberge du lac ; une classique de la sortie familiale où nous croisons beaucoup de couples avec de jeunes enfants. Cascade magnifique, eau limpide, demi-tour du lac possible pour rejoindre la cascade, abords ombragés, le site ne manque pas d’attraits qui lui donnent une notoriété méritée.
Le deuxième palier nous amène sur les lacs d’Espingo et Saussat qui règnent sur un plateau traversé par la Neste d’Oô que domine le refuge d’Espingo, caché par le col du même nom. Il faut 500 mètres de plus pour atteindre ce plateau et une nouvelle sélection se fait ici…Ceux qui n’envisagent qu’une sortie à la journée s’arrêteront là, se contenteront de la vue sur le formidable cirque d’Espingo, dominé par le Grand Quayrat, le Lézat, la Tusse de Montarqué, le Pic des Spijeoles. Nous y arrivons pour la mi-journée avec un grand ciel bleu et une chaleur étouffante qui nous accompagneront constamment sur l’ensemble du séjour. Après un petit café au refuge nous entamons le troisième et dernier étage du parcours Portillon d’Oô.
Le chemin bien dallé pousse jusqu’au fond de la Coume de l’Abesque et doit affronter une faiblesse de la falaise sur le côté droit de la Tusse de Montarqué. La chaleur pèse encore plus que le sac à dos ou les difficultés du terrain, elle nous envoie rechercher un peu d’ombre sous la muraille, mais le groupe sort vite sur la dernière croupe et le refuge apparaît avec les velléités rafraîchissantes bien compréhensives.
Au refuge du Club Alpin Français, Régis le gardien doit avoir largement entamé sa troisième décennie de présence, et comme nous avons usé pas mal de cuir et aussi notre couenne par ici, il reconnaît vite Jean-Marie, qui n’aurait donc pas tant vieilli que ça…Nous occuperons presque avec exclusivité le dortoir « Perdiguère ». Un peu plus tard le groupe arpente le barrage pour une pause farniente bien méritée à l’entame du chemin du vallon inférieur de Litterole. De ce point on domine le lac du Portillon d’Oô et la vue sur les crêtes Cap Seil dera Vaca, Portillon d’Oô, contrefort du Royo…
>>>photos J1
2ème jour Jean Arlaud, nous voilà !
Pour moi, le nom du refuge restera toujours «Portillon d’Oô», mais lorsqu’il fut question de construire un nouveau refuge en remplacement de l’austère cabane des constructeurs du barrage (dans les années 90, on a rasé cette cabane dont il ne reste que les fondations et on a voulu perdre son nom !), on a baptisé le nouvel édifice « moderne » Jean Arlaud. Jean Arlaud fut le médecin de la première expédition française dans l’Himalaya. Jeune alpiniste, très entreprenant, il prend très tôt des responsabilités, devient vite Président de la Fédération Pyrénéenne de Ski et porte les valeurs de ses chères Pyrénées partout où il passe, par la parole ou les écrits. Il disparaît en montagne sur la crête des Gourgs Blancs en 1938 à l’âge de 38 ans. Aujourd’hui, notre refuge et un pic honorent sa mémoire. Pour les patronymes, on s’y perd un peu en montagnes pyrénéennes, il faut sans cesse se repositionner avec l’histoire du « pyrénéisme » ou…nos voisins espagnols.
Bon quand même, la gestion du refuge se veut « montagnarde » et le petit déjeuner ne se prend pas après 7h ! On s’adapte, pas de « grasse matinée », réveil à 6h, je suis comblé, je me sens mieux compris comme ça…Les couches sont confortables, pas d’eau chaude pour la douche (encore l’histoire du cumulus en panne…), recommandations étudiées pour ne pas boucher les toilettes (je ne fais pas de dessins), notre confort habituel un peu bousculé mais rien d’insurmontable, nous ne connaissons pas notre bonheur dans les sauvages Pyrénées.
Avant 8h nous arrivons sur la Tusse de Montarqué, et tout autour de nous les sommets du luchonnais peuvent s’admirer. Avec un rayon d’1 km au plus, depuis l’Est, on « chope » le grand Quayrat chapoté par un cube dont les arêtes font plus de 2m, le Lézat dont on distingue mal les aiguilles, Crabioules qui nous cache le Maupas visité en avril dernier. Puis viennent Litterole, Royo, Perdiguère, le portillon d’Oô, les crêtes Seil de la Baca, Audoubert, Arlaud, Gourds Blancs, Gourdon, Spijeoles qui nous cache les 3 Bellocs et le Pic de la Hourgade visité la semaine dernière…Ce tour d’horizon terminé, naturellement j’en oublie : pour en voir plus, il faut descendre la Tusse en Ouest et arpenter ce qu’il reste du Col du Pluviomètre caractéristique avec son équipement, phare de la zone.
Maintenant face à nous il y a la face Est du Pic Jean Arlaud, et pour y aller on traverse le cirque des Gourgs Blancs enneigé. Crampons nécessaires. A quelques dizaines de mètres du Port d’Oô, il faut les retirer pour traverser des éboulis et un chaos de blocs. Au port d’Oô, 2 randonneurs originaires d’Annecy écument la HRP (Haute Route Pyrénéenne), l’un d’eux nous accompagnerait bien au pic des Gourgs Blancs…Frères de montagne, on échange, on se livre un peu, on partage, on est bien, on se lève, on se quitte, les vies se croisent, les priorités…
Le groupe bascule sur la face sud du Jean Arlaud, la descente facile nous mène au pied de la voie, le pierrier devient roche dans les parties les plus verticales, notre montée s’effectue au plus près de la paroi à droite. A deux reprises, il faut se lancer sans possibilité de parade pour passer un pas, prises peu évidentes mais bon rocher bien sec, le col Jean Arlaud-Gourgs Blancs est atteint. Pose des sacs, examen du « passage Pépita » (du nom de la randonneuse que l’Asptt sauva un jour de ses peurs), sans charge vers 10h30 le quintet atteint le sommet Jean Arlaud, après le contournement de quelques rochers. Pas d’identification propre au célèbre toubib ici, et ce, même si ce sommet porte son nom ! Patience, il suffit d’attendre la suite.
Retour sage au col et montée sans difficultés vers le Pic des Gourgs Blancs. Une croix. Une plaque métallique porte les traits du docteur martyr de cette montagne et un marbre éclaté, un puzzle de pierre à reconstruire, rappelle combien nous sommes fabriqués fragiles et périssables. On se repose, il faut se reconstituer.
A la relecture des topos, je m’en veux de ne pas avoir eu l’autorité nécessaire pour imposer la suite et la voie du retour avec le passage en crête vers le col de Gias que j’avais prémédité. Largement à notre portée avec la Tour Armengaud et la Pointe Lourde Roche-Blave, nous avons préféré l’accès mieux connu (???), car utilisé par le passé, en contrebas. On aura un peu de mal à trouver les cairns et ensuite, l’option d’une descente plus rapide nous enverra sur une « barre » que j’essaie en vain de traverser au plus court pour rejoindre le Port d’Oô. Le soleil tape, tape fort, nous cuit, nous cuivre, la chaleur écrase. On y arrive enfin, la descente se termine sur un névé qui va nous laisser de grosses frayeurs et une belle estafilade pour Jacques, ravi de se laisser soigner par Marie-Laure qui prend les décisions, toujours très à l’aise et précieuse dans ces moments. On se resserre pour repasser le port, un peu touchés, beaucoup déshydratés, nous avons besoin de « refaire de l’eau ». Retour des crampons, petit rythme et dans le creux des Gourgs Blancs, recharge en eau. Dans la montée vers le pluviomètre, en contournant le dernier rocher, les crampons de Didier gorgés de neige ont « botté » : glissade. Pas malheureux, nos trajectoires peuvent se rejoindre et il retrouve son équilibre. Mais cette nouvelle alerte ne rassure pas : le constat, en moins de 2 heures le groupe se fait piéger à deux reprises sur des névés à des heures de fonte maximale, un jour de fin juillet : de quoi ébranler nos préjugés et prendre date pour plus de vigilance.
La suite du retour s’effectue tranquillement, passage sur la Tusse, descente sur le refuge. Devant notre tablée et nos rafraîchissements, Régis vient aux nouvelles (les gardiens sont souvent avides d’informations pour les répercuter) ; on explique la journée, on se tuyaute aussi pour la suite demain car pour aller au Spijeoles (notre programme de demain), il vaudrait mieux éviter la Tusse et le col du pluviomètre…Le chemin le plus rapide pour faire le Spijeoles ? « Ben, il y a le chemin des mineurs ; simple, tu le prends au bout du plateau de descente, tu vas trouver des ferrailles et tu prends à gauche, aucune perte de dénivelé, il suffit de tourner autour de la Tusse, en deux heures tu es au sommet ». Jean-Marie et moi ne connaissons pas ce sentier et l’incrédulité domine : un truc pareil qui nous aurait échappé jusqu’ici ? Je vérifie mes topos, le sentier des mineurs est décrit aérien mais en F !
>>>photos J2
3ème jour le sentier des mineurs et le Pic des Spijeoles.
Un peu après 7h nous abandonnons le refuge, ce soir nous retrouvons les granges d’Astau…On repère facilement les ferrailles plantées dans la roche et en basculant vers le premier talweg, la suite se lit de façon évidente puisqu’il n’y a qu’un passage herbeux au-dessus de la muraille. Les cairns s’enchaînent sur l’abrupt contrefort nord de la Tusse de Montarqué et mènent vers des terrasses et corniches très aériennes. Deux passages bénéficient de « mains courantes » d’époque et facilitent la progression au-dessus du vide mais rien de réellement difficile ? Presque comme un Orteig bis. On sort de cette traversée très engagée sur un pierrier en contournant un névé, tout en grimpant. Le lac glacé sera tangenté côté nord, la progression s’effectue ensuite sur des terrasses rocheuses faciles. A l’intersection du chemin qui vient d’Espingo, arrive une zone rocheuse puis un grand pierrier. Le groupe a un peu dérivé vers la crête voisine et le col entre Gourdon et Spijeoles. Plus que quelques dizaines de mètres, une dernière cheminée se propose et voilà le sommet. Un randonneur espagnol arrivé peu avant nous fera la photo de groupe. Magnifiques panoramas, belle réussite collective.
Avant 10h, le groupe, idéalement positionné, redescend ! Il a renoncé à la traversée des Belloc et bientôt il écarte même la visite ludique du Gourdon. Comment ne pas être frustré de cela ? Honnêtement, je le suis : un engagement pareil, une pareille réussite méritait bien mieux, se retrouver dans ces conditions et faire profil bas ; on peut difficilement trouver d’aussi bonnes cartes pour enchaîner…mais c’est vrai, je suis de nature boulimique en montagne (toujours +) et par ailleurs coupable, coupable de venir pour 3 jours et d’imposer au groupe une descente de 2000 mètres de dénivelé devant nous. Sur 4 jours on aurait pu rejoindre Espingo par exemple, sur 5 jours on aurait pu…Bref, 3 jours, non, ça ne va pas !
La descente s’avère ardue et il nous faudra 2 heures pour rejoindre le dernier promontoire de la Coume de l’Abesque sur lequel le pique-nique s’organise avec l’eau vive voisine. Un petit jus sera pris au refuge et le quintet déroule en «force tranquille » le chemin montagnard tout confort vers le lac d’Oô et plus tard, la fausse piste vers les granges d’Astau. Vers 17h, le bar des granges nous reçoit.
>>>photos J3
Un grand merci au groupe pour son engagement et la réussite collective malgré la chaleur et un terrain souvent exigeant et piégeux, sans oublier quelques rares errements bien surmontés. Bravo !
Antoine
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