Jour 1 : Punta Acuta 2147m
Nous partîmes à 932m, mais par un prompt renfort nous nous vîmes à 2157m… Une fois n’est pas coutume, à 8 heures « pétantes », le taxi des Miradores d’Ordesa charge les 6 survivants partants du jour. Les « cuentes » multiples et variées s’acharnent sur l’atome « Pétos » qui a perdu 6 électrons pour ne garder qu’un noyau dur composé de 6 protons, charges ultra positives. Attention cependant, ces charges atomiques cacheraient un chat noir comme vous le lirez plus loin…
Mais avant de partir, il y eut encore d’autres points noirs à gérer… Eh oui, pour démarrer, il faut résoudre une nouvelle équation transport car la route entre Torla et la Pradera (cœur du parc d’Ordesa) est coupée pour cause de travaux. Les ingénieurs cartographes cogitent et proposent 4 scénarios différents aux 6 survivants pour gérer ces 7 km supplémentaires… Le N°3 secrètement envisagé en haut lieu sera finalement adoubé par le groupe plus que confiant. Sur ces lignes, pas d’explications sur les autres solutions, ce serait trop long à détailler et parfaitement incompréhensible sans maîtrise de la géographie locale. Pas si simple à mettre en œuvre notre affaire, car le Taxi des Miradores ne travaille qu’à 8h ou à 14h…Il est comme ça, lui, il gère l’horaire deux fois par jour et on doit s’y plier. Pour être à Torla à 8h, certains Pétos se réveillèrent à 4h afin de respecter un covoiturage compliqué, millimétré mais exécuté avec une précision suisse…
Et maintenant, le taxi espagnol, 4×4 et VW (ça me rappelle quelque chose, habituellement les VW ne sont pas 4×4, mais bon on est en Espagne…) arpente une piste tout à fait comestible au sud des crêtes de Diazas. La piste aboutit après de nombreux méandres sous la Punta Acuta, à 2242m moins 85m, soit 2157m…
Lâché par son moteur VW à explosion, le groupe s’ébroue un peu avant de passer à l’action. Météo correcte, fraîche et un peu embrumée, et déjà gros spectacle sur ce canyon d’Ordesa incroyable avec ses falaises et tous ses sommets qui l’étirent vers le haut. On avale donc les 85m qui permettent de gagner le sommet de la taupinière en directissime, inutile de chercher un chemin. Passe-partout. 10 minutes, le sommet du jour, congratulations, exploit, photos pour la postérité, j’en passe… Un des sommets, que dis-je, le sommet le plus rapide de l’histoire des Pétos : « Punta Acuta ».
Après ce premier gros effort, le groupe bascule côté nord pour rejoindre le haut de la « Senda de los cazadores », s’engager sur la « Faja Pelai », rêver de déjeuner à la queue de cheval. Ainsi fut fait, d’abord par un sentier abrupt improbable qui fait quelques soubresauts dans les ravins : sauvage, arboré, facile à suivre. 30 minutes plus loin, il rejoint « les cazadores », immanquables, confortables, qui nous font grimper un peu pour échouer au « Mirador de Capillaruego » ; magnifique belvédère qui domine de près de 600m le parking de la Pradera. De l’autre côté du canyon d’Ordesa, face à nous, la gorge de Cotatuero avec sa via ferrata et son rappel, une histoire récente des Pétos…Arrêt prolongé inévitable pour profiter de l’endroit et des vues spectaculaires, et aussi du gâteau qui pèse dans le sac (merci Christiane). Le chemin de la « Faja Pelai » très confortable suit une courbe de niveau naturelle entre 2 hauteurs de falaises et cela dure 7 km ! Un écran d’arbres empêche de profiter pleinement des vues sur la « Faja Tabocor ». Plus tard, la sortie du couvert forestier permettra d’admirer la cascade « Cola de Caballo ». Bien alimentée en eau, elle porte bien son nom aujourd’hui.
Sur la plage de la cascade « queue de cheval », à peine protégés des embruns, la pause repas s’organise, paisible, pas de pression de timing : juste les « clavijas » à passer et le refuge à 1h30. Les historiques « clavijas », barres de fer bien prises dans la roche, se trouvent dorénavant renforcées par des mains-courantes de chaînes qui permettent une progression « sécure ». Nous passons sans accrocs, faciles. Un peu plus loin, sur le GR 11 vers Goriz, notre timing excédentaire permet l’organisation d’un atelier « rappel » dans une pente herbeuse. Serge affiche une belle pratique et partage ses acquis pour le bonheur de tous. Un beau moment, quelle recrue !
Plus tard, l’arrivée au refuge est le moment de la journée que je redoute le plus : je me souviens de pas mal d’embrouilles avec ce refuge, pas toujours à l’écoute, et aujourd’hui, j’y arrive plus que morveux… En ayant réservé pour 12, corrigé une première fois pour 11, puis pour 10, puis pour 9, puis pour 7, et enfin pour 6, le lien, la crédibilité et le sérieux en prennent un gros coup. Mon groupe ? A+. Une hémorragie, je perds mon sang ! Au final, basta, j’ai simplement dit avoir de gros problèmes avec « mon » groupe, sanguin. Et le dernier mail de la veille situait bien le contexte de l’incrédulité : « mais au final Antoine, vous venez à combien ? ». Un seul caractère incertain pour toute réponse : « 6 ». Quand nous arrivons, il se trouve que le refuge, toujours en travaux, fonctionne de façon bancale…Les randonneurs vivent dans le chantier, les ouvriers vivent dans le refuge… Mon interlocuteur se montre plutôt compréhensif. J’ai compris qu’il ne pénaliserait seulement que les 3 derniers désistements, jugés trop tardifs, et seulement pour la moitié des arrhes…Je ne bataille pas, pour l’heure il s’agit de refaire le lien, la suite déroule comme d’habitude : chambrée de 8 en 2 niveaux, avec WC et douche, espace un peu étriqué, repas classique, la vie de refuge quoi…
>>>photos J1
Jour 2 Monte Perdido 3355m
Ce matin, le programme commencera d’abord par le Mont Perdu, et si conditions correctes, son voisin le Cylindre. Le Mont Perdu, 3355m et troisième sommet des Pyrénées de par sa hauteur, après Aneto et Posets, ne se vainc jamais facilement (la Punta Astorg dans le secteur Aneto fait elle aussi 3355m). Gene reste sur plusieurs échecs au Perdu, notre « chat noir » bien identifié, c’est elle ; pas d’embrouilles, seulement elle ! Le contexte nous challenge d’autant plus que la météo propose pluie et brouillard. Et notre Gene, bien campée dans son rôle, ne semble guère optimiste pour la journée !
Les étapes de l’ascension bien connues se succèdent : traversée laborieuse de la première fausse falaise au dessus du refuge, les deux plateaux prairie qui se succèdent, le gros cairn. La pluie fine transperce, heureusement aucun vent…Le groupe trouve un premier abri « sec » sous la falaise. Des espagnols arrivent puis doublent…On repart, voilà le chaos de gros rochers noirs, des cairns partout, une traversée merdique. On s’en sortira plutôt bien. Pour finir de couper les terrasses-falaises qui restent, il y a toujours un passage clé un peu sportif qui demande un pas d’escalade. L’équipe passe au mieux avec quelques frayeurs pour le chat noir, qui fait grise mine car il (elle) n’aime pas beaucoup l’eau comme tous les félins, mais malgré tout commence à se griser au fur et à mesure de la montée… Avant la dernière terrasse pour arriver au lac glacé, un moment de « reconstitution » ; on rattrape la falaise et son abri au sec un peu limité. Cette dernière terrasse propose des mains courantes faites de grosses chaînes qui aident bien.
Au lac glacé, le ciel s’ouvre un peu et on voit même la « Punta dera Escaleteras 3025m » (une voie d’accès vers le Perdu que je recommande), la pluie cesserait presque. Quelques minutes plus tôt, lors du dernier arrêt, le renoncement semblait inéluctable et donnait la langue au chat, mais cette infime illusion salvatrice sera un regain suffisant pour décider que désormais, le sommet est à nous ! Quoi qu’il en coûte !
A notre gauche la crête qui porte deux 3000 parmi les plus audacieux des Pyrénées, la croupe effilée qui conduit au « Nudillo » (sommet peu connu car qualifié 3000 très récemment…) et surtout, plus connu et plus caractéristique, le « Dedo », le « Doigt du Perdu » ; une dent qui demande un premier de cordée expert. Devant nous une dorsale toute en roche qui domine les précipices à droite et à gauche. Il faut passer dessus. Les bonnes prises se succèdent mais pour revenir par là, il faudra sûrement assurer… Nous verrons. Au bout du passage toutes les difficultés techniques vaincues, il reste un immense pierrier à la pente impressionnante dans lequel des traces plus ou moins nettes se fondent avec quelques passages neigeux. La neige se laisse mâcher, la montée s’effectue avec un peu de fractionné pour rester le plus groupé possible, histoire aussi de souffler un peu, de profiter. Les espagnols sur le retour donnent les infos utiles : pas de difficultés, neige molle… Un peu excité de son succès, l’un d’eux crie qu’il vient du « Pueblo » et pas de la capitale ??? Moi aussi, je suis du « Pueblo »… Il est content … Pas plus de 30 minutes, nous gagnons l’épaule du Perdu dans la neige. Le groupe se resserre, l’air vif et le froid cueillent. Les traces dans la neige signalent les dernières marches à suivre. La mi-journée et le sommet où le calme surprend. La brume imprègne tous les alentours. Le chat ne distingue que l’épaule, le Doigt, un peu de notre montée et le gros névé qui jouxte entre la dorsale et l’arête. Le chat est maigre…
Grande première pour Marie-Laure, Didier et le chat noir, heu non, Gene (enfin !). Pour un peu on s’attablerait mais 3 farfelus ont laissé le sac sur l’Epaule. Bon, on ne s’attarde pas trop non plus, on trouvera un coin abrité pour déjeuner… En arrivant sur la dorsale Jacques suggère de passer par le névé, ce qui paraît une bonne idée ; déjà il s’engage, mais on le retient quand même pour la pause repas car l’endroit paraît bien abrité. En mangeant, la pluie qui ne nous a jamais réellement quittés s’intensifie et force le départ. Au dessus du névé, une partie de la descente s’effectue sur le pierrier, mais ensuite, dans ce creux peu exposé au soleil, on trouve de la neige dure et crampons piolet prennent du service pour rejoindre les abords du Lac Glacé. A ce moment là personne n’envisage plus de courir l’aventure du Cylindre. Le retour focalise toutes les attentions : la traversée des terrasses avec les passages compliqués s’effectue sans précipitation. Le chaos, le gros cairn, les derniers pas, le refuge, archi-mouillés, 16h.
Jacques a oublié ou perdu, il ne sait pas, son téléphone hier. Le groupe tente une expédition « recherche » désespérée sur notre fin d’étape de la veille. Double peine puisque les recherches seront stériles, et la pluie qui nous accompagne noie la totalité de notre accoutrement. Ce soir, il va falloir s’organiser pour sécher le maximum.
Après le repas, grosse séance « cuenta ». D’abord avec l’autorité du refuge qui va devoir réviser sa copie à la baisse, et ensuite retour avec le groupe pour assurer les répartitions. Empêtrés dans nos calculs, il faut toute l’expertise de Marie-Laure pour reformuler et éclairer toutes les lanternes. Un grand merci. Allez, dodo bien gagné…
>>>photos J2
Jour 3 : Vire des fleurs 2400m
Le vent souffle toute la nuit, des trucs battent claquent tapent, des courants d’air sifflent, grosses impressions de tempête extérieure. Le vent apporte le froid, et, avec la pluie de la veille, les redoutables gel et verglas. Globalement, on a réussi à faire sécher nos affaires, et avant de mettre « le nez » dehors pour faire front, notre équipement sera maximal. La question se pose : la vire avec une étape de plus de 20 km dans des conditions apparemment bien musclées ou le retour plus cool dans le canyon d’Ordesa ? Sur le fil du rasoir, les décisions contradictoires s’affichent, mais finalement la bascule se fait pour la vire, et un départ dans les bourrasques de vent sur l’itinéraire de la Brèche de Roland. Le long de la « Faixa Langa », la tempête ne faiblit pas. Au « collado Millaris », notre choix de pousser sur l’itinéraire de la brèche plutôt que de traverser la grande plaine en Est du pic Descargador nous vaudra de traverser des pentes gelées au nord de ce sommet. Verglas, hyper dangereux. De proche en proche, le groupe trouve les solutions, souvent Jacques en éclaireur essuie les plâtres. On enroule totalement ce pic, qui est un marqueur de la zone de par sa forme en cercles concentriques, en passant sur son côté Ouest et en progressant résolument vers le Sud. Un arrêt au soleil à l’abri et petit à petit les conditions s’améliorent. Le groupe descend un étage puis un second pour atteindre la large plaine de Mondarruego. Le vent ne bataille plus, les sommets se dégagent derrière nous. Depuis les Gabietous jusqu’à Las Olas, quel spectacle de soleil ! Taillon, Brèche, Casque, Cylindre, Mont Perdu. Pour trouver le début de la vire, la suite s’avère un peu pénible. Le terrain propose d’innombrables cairns et plusieurs fossés profonds qu’il faut contourner en Ouest. Un large détour limitera bien ces inconvénients. Au passage des isards se donnent en spectacle. De loin, nous avons entrevu le début de la vire, un profil de falaise avec 3 rochers caractéristiques, cela aide bien à la navigation.
Heureusement située en face sud, la vire semble peu gelée… Un chemin improbable naturellement dessiné entre 2 étages de falaises se propose. Le fossé sous nos pieds, les contreforts de montagnes côté Ouest et Est, dantesques de verticalité, donnent un spectacle unique. Devant nous, loin, la taupinière de Punta Acuta… Mais les sensations peinent aussi à surmonter un sentiment de fragilité et d’insécurité, appréhension réflexe de la chute, il faut se secouer, rester concentrés. Progression au plus près du pied de la falaise haute, les deux premiers éperons seront passés avant de décider, dans un large creux, la pause méridienne : plein soleil avec un peu d’air vif quand même. Royal.
La suite se poursuit un grand moment plus tard mais l’orientation de la « Faja » change… De Sud-Est, elle passe à Sud-Ouest et nous évoluons sous des écoulements d’eau : par endroits, le gel de la nuit a vitrifié les pierres. Les solutions existent pour faire notre chemin mais gare ! On peut imaginer ce que devient la vire avec une neige consistante et le gel ! Un peu après 14h, ivres de ce cheminement hors normes, nous sortons de la « Faja de las Flores ».
Le sentier vers Torla fait une épingle à cheveux pour gagner le « Rincon de Salarons » vers les « Clavijas de Carriata ». Pour les passer, 2 rappels ludiques s’organisent plein soleil. Une apothéose bien méritée pour ce groupe. Serge surveille les descentes, corrige les postures, « débrieffe » individuellement à chaud. On se rappelle aussi qu’ici, récemment Jean-Marie a connu un moment pénible… Ensuite le chemin fait sa vie autour du barranco de Carriata et nous sortons du bois, un peu en dessous de la Pradera, vers 17h. Il reste à rejoindre Torla par le GR11, le chemin de Turieto. Notre timing nous empêchera de bien profiter des cascades et belvédères que propose cet itinéraire très spectaculaire et confortable, à recommander à tous les publics. Vers 18h30, après avoir traversé le pont « Dera Glera », au même bar où une autre équipée « Pétos » vient de prendre quelques habitudes, un rafraîchissement bienvenu termine une journée de 23km.
Au pied du véhicule, les gâteaux de Marie-Laure & Didier nous reconstituent pour affronter le retour dans nos pénates. Chemin faisant, Guytou se signale : le téléphone de Jacques a été retrouvé, il est retenu en otage à la guardia civil de Huesca !
>>>photos J3
Un grand bravo à mes partenaires qui portent de belles valeurs de cohésion, solidarité, partage et témérité aussi, pour affronter des conditions pas toujours faciles… Merci à vous !
Antoine
photos et vidéos de Gene, Marie-Laure et Serge
Commentaires