Dans la brèche Latour, le groupe de 10 équipé arrive maintenant sous un premier ressaut fait d’un agglomérat de roche sur près de 3 mètres de hauteur. Le passage un peu compliqué s’effectue en force, les sacs sur le dos ne facilitent rien. Les premiers tirent les suivants, une sangle posée en appui se révèle déterminante. Mais au-dessus, l’espace est restreint ; à 10, forcément embouteillage ; la première cordée file vers le second ressaut qui se propose aussitôt, moins compliqué. Le fond de la « canaule » est composé d’éboulis très instables et inévitablement « ça a parpiné » un petit peu, les casques étaient à la parade pour certains mais Nicole a pris un petit éclat sur la joue. Les cordées ont progressé jusque sous le toit de la brèche que constitue le gros rocher caractéristique, nouvel embouteillage. Le passage avec les grosses barres de fer très spectaculaire semblait peu orthodoxe mais il aurait peut être facilité la sortie, on ne saura pas…Un autre chemin se dessine. Du rocher, vers la droite, dans la dalle propre et verticale, il y a un pas vers un premier piton d’ancrage et encore un second pas pour rejoindre ce gros mousqueton rouillé d’un autre âge. Laborieusement, les liens un peu justes ne facilitent pas la manœuvre, mais tous passent les uns après les autres, toujours en force, en donnant le meilleur, solidaires après avoir bien bataillé. Peu à peu le terrain change, la pente devient plus douce, les prises abondantes, l’épaule arrive et en deux temps, la brèche accouche des cordées. Le passage clé du jour est franchi ! Sans doute, certains passeraient sans corde comme cela avait été suggéré, pourtant d’autres sont bien contents de la trouver…
Notre conquête du Balaïtous commence le samedi à 16h, à « l’embalse de la Sarra » bien encombré de voitures et on aura un peu de mal à trouver nos places. Le chemin vers le refuge est un chemin escarpé, classique et long. Il faut 2h30 pour monter. Entretemps, le long des « Aguas Limpias », on croise l’itinéraire de Socques, puis celui des lacs d’Arriel par lequel nous devrions revenir. Au bout de 2 heures, on atteint « l’embalse de Respomuso », juste après avoir dépassé l’Ermita Virgen de la Nieve ». Le refuge de Respomuso est magnifique à l’extérieur mais ses prestations souffrent un peu : le dortoir « Crestas », les sanitaires appartiennent à des temps que l’on pourrait croire révolus ; c’est que le montagnard se ferait de plus en plus exigeant et donc dépendant ? Non, juste, il vieillit et a besoin de plus de confort. Pourtant, fait notable et important, l’organisation du refuge permet heureusement un départ matinal, des thermos nous sont préparés pour 5h malgré certaines réticences à peine voilées, l’encadrant reste inflexible sur ce point.
Ce matin, vers 6h et à la frontale, biens groupés nous montons vers les Crêtes du Diable. Un air vif, plutôt du vent, nous saisit dès que nous passons un promontoire. Peu à peu le jour se lève, le temps sera magnifique, la « Tour Georges Cadier » autrement appelée « Tour du Costerillou » nous nargue un peu, le dôme du Balaitous s’envisage mais pas encore la Brèche Latour. Pourtant, quel spectacle, l’enchaînement des crêtes du Diable et des crêtes du Costérillou ! De grands noms du Pyrénéisme courent sur ces arêtes à notre droite: depuis le Gavizo Cristail, premier promontoire, en passant par « La demeure Lagarat, Le pic Soulano, la Demeure Soulé, l’Aiguille Durand, la Pointe de la Défaite, le Pic Central, l’Aiguille d’Ussel, la Tour du Costerillou. Mais pas d’égarement, pour terminer notre approche de la brèche Latour, il faut contourner un éperon et nous en sortirons sans cairns un peu trop haut. Il reste à redescendre jusqu’au névé pour remonter dans la brèche dès lors bien visible et très spectaculaire avec sa pente, son chapeau, ce rocher perché. Irréel et magnifique. L’heure de vérité approche, casque, baudrier, corde…Une fois la difficulté franchie, un temps de récupération : un bon bout encore pour sortir au sommet. Spectacle à 360°. Pas encore 11h. La borne de ciment. On trouve un peu de monde.
Là comme jamais, notre chance incroyable, le sommet se livre totalement et je repense en ce moment à toutes ces voies d’accès qui m’ont fait vibrer. D’abord au Nord, juste le début de la Grande Diagonale que nous allons redescendre ; ensuite en traversant tout le dôme du Balaïtous comme nous venons de le faire, la Brèche Latour devenue plutôt une voie d’escalade puisque son névé d’accès, sur lequel je me suis brûlé un bras lors de ma première en 98, n’existe plus ; et puis à l’arête Nord Est Cap Peytier Hossard, du nom des géodésiens les premiers au sommet, conquise avec Jean-Marie en sortant par la vire Béraldi ; plus en Est le cheminement classique du glacier de Las Neous ; toujours en Est, en parallèle à la voie du glacier, il y a l’arête du Costérillou dont on ne distingue du sommet que le profil, même si l’on devine facilement sa Tour ; enfin pour moi, il y a aussi l’arête Nord-Nord Ouest appelée aussi arête Packe-Russel réalisée avec l’Asptt sur un projet conduit par Christian le 26/8/16, j’étais associé à Jacques. Pour conclure ce paragraphe de conquêtes comment oublier la traversée intégrale de la brèche Latour, d’Ouest en Est depuis la moraine du « glacier de la Frondellas » vers Respumoso le 26/08/08 encore avec Jean-Marie, et aussi dans un projet ASPTT itinérant que je conduisais, l’ascension et le retour par la Grande Diagonale d’un groupe de 9, le 19/08/10, dans la brume nous avions abandonné nos charges dans l’abri Michaud. Il m’en reste encore d’autres mais ce seraient des redites…
Pourtant, aucune de ces voies n’est facile, le Balaïtous est un bastion. La normale recommandée est la Grande Diagonale.
Maintenant, aujourd’hui, presque 12h : comme prévu, le retour s’effectue dans le dédale de rochers verticaux, justement, de la Grande Diagonale. Le début paraît un peu compliqué et nous hésitons sur une terrasse avant de comprendre qu’il faut contourner à droite pour rejoindre l’entrée de la Diagonale. Pas mal de monde, 2 groupes de 4 descendent derrière nous, plusieurs binômes montent. Le tracé dorénavant limpide et facile, mais il faut rester aux aguets, le risque est de prendre une pierre. Au bout de 20 minutes nous sortons sur un terrain moins accidenté qui finira contre la paroi un peu au-dessus de la Cueva Michaud ; comme prévu, nous déjeunerons au pied du rocher du déjeuner, les lacs d’Arriel envisagés avec beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de lourdeur et d’insistance par certains (rigides ou manque de souplesse ?), se révèlent encore loin et nous ne mettrons pas moins d’1h30 à rejoindre ces lacs après le casse-croûte !! Pour ce faire, nous basculerons à gauche, en traversée de pierrier d’abord, mais ensuite, dans une progression plutôt agréable sur un terrain herbeux. Avant d’arriver aux lacs, le terrain devient rocheux et forcément accidenté. Depuis les lacs, l’intersection propose Respomuso ou La Sarra. Arrive alors ce moment où le groupe se doit de faire allégeance aux désirs impérieux de quelques marsouins. 16h, un gros soleil, un groupe de 10, 8h de montagne très exigeante derrière nous, et encore 2h devant… Un rebelle osera exprimer une autre voie et s’exposer aux railleries des biens pensants qui ne manquent pas de fuser illico, et, aussi un peu plus tard en arrivant au parking. Finalement, désormais esseulé et lâché par tous, le rebelle plie aussi. Un moment délicieux à vivre assurément dans lequel on peut se sentir en totale osmose avec le groupe, le moment le plus difficile de la journée pour tout dire; celui où vous vous efforcez de faire bonne figure…« Mais non, le groupe n’aura pas la liberté de penser du rebelle qui n’hésite pas à s’exprimer haut et fort en profitant de cette tribune ! ». La plèbe désormais invitée, un peu forcée par ses patriciens, bénéficie de places gratuites et se pose dans les cailloux, le spectacle dans l’eau.
On croirait être sortis d’affaire comme pour aller à la plage, mais gare ! En dessous des lacs, le cheminement, bien tracé dans un premier temps, devient un peu épique et passe dans une forêt accidentée et « pète gueule ». Cela ne finit pas. On se demande bien qui a pu tracer un pareil itinéraire. La chaleur est étouffante. Il faut rester vigilants, le groupe est conséquent ; chacun peut se souvenir de derniers moments de randos cuisants au refuge d’Oredon, aux Pics d’enfer ou aux pics de Europa, nos plus gros récents accidents. Et donc juste un rappel pour tous : ce n’est qu’à la voiture ou au refuge que la journée se termine, que la course se gagne, que l’encadrant, fût-il bénévole ou pas, est dégagé de ses obligations ; en général les problèmes arrivent avec la fatigue et très souvent en fin de journée.
Mais enfin voyons, point trop d’alarmisme ! Aujourd’hui, tout va bien, et, lorsque nous gagnons le GR11 nous retrouvons aussi de l’ombre et plus tard, 18h, parking de la Sarra et les railleurs. Pour les stats de la journée : 10h de rando, 1100m de dénivelé, 17 km et un et deux et trois ploufs.
Antoine
les photos de Gene et Marie-Laure
J1 : refuge Respumoso
J2 : traversée du Balaïtous
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